Ce second axe de recherche, largement interdisciplinaire, est beaucoup plus neuf dans les travaux du CEMM et s'insère clairement dans les thématiques du LabEx concernant l'espace et la spatialisation des faits politiques et sociaux (Axe 2 : Espaces de pouvoir et constructions territoriales).
A. Rituels, pratiques, paysages sonores
(Vincent Challet, Gisèle Clément)
Le premier champ de recherche envisagé est consacré aux Paysages sonores en Méditerranée Médiévale (XIIe-XVe siècle). Il s'agit d'étudier certaines modalités d’expression du pouvoir dans l’espace. En effet, cette appropriation de l’espace urbain par les différentes formes de pouvoir ne passe pas seulement par un déploiement physique mais également par le déploiement d’un certain nombre de sons, de cris et de morceaux musicaux dont l’émergence accompagne la mise en forme des grandes cérémonies princières telles que les entrées urbaines, les processions ou les fêtes liturgiques qui ne cessent de prendre de l’ampleur à partir du XIIe siècle. L’ambition d’un tel projet serait donc, en croisant approche scripturaire et musicologique d’une part, expérimentation vocale et instrumentale (archéo-lutherie) de l’autre, de parvenir à une esquisse des paysages sonores qui se déploient dans l’espace des villes médiévales méditerranéennes (et en particulier languedociennes) en prenant comme point d’appui des cérémonies particulières attestées historiquement et en mettant en rapport musicalité et espace urbain ce qui est tout à fait possible dans le cadre de processions urbaines. Une attention particulière sera également portée à la contestation sonore du contrôle que tentent d’imposer les divers pouvoirs sur l’espace urbain. Un tel projet serait mené en collaboration avec le Centre International de Musiques Médiévales, dirigé par Gisèle Clément, qui offre le cadre idéal pour mener à bien de telles expérimentations musicales et en partenariat avec le Master « Valorisation et Médiation des Patrimoines » pour la partie concernant la valorisation de telles expériences.
B. Ordres religieux et territorialité
(Marie-Anna Chevalier)
Dans ce second champ de recherche, il s’agit d’envisager la relation des ordres militaires à la territorialité en réfléchissant sur les dimensions qu’elle recouvre, en essayant de discerner les particularités qui lui sont propres, les caractéristiques des implantations des ordres, variables selon le niveau d’échelle, la zone géographique et la société considérés. Afin de tenir compte de ces spécificités inhérentes au rapport que les ordres militaires entretiennent avec les territoires qu’ils occupent, ainsi que la manière dont leur présence s’inscrit dans ces lieux, plusieurs axes et directions, liés les uns aux autres et en interaction constante, sont soumis à la réflexion.
Les questions d’échelle permettent d’aborder l’« emprise » territoriale exercée par les ordres militaires à différents niveaux. Parfois ces niveaux peuvent être assez flous et se superposer, créant une forme de cospatialité. Il s’agit aussi de s’interroger sur la manière dont les commanderies des frères s’intègrent à différents degrés dans des structures sociales, territoriales, plus globales. L’étude de l’évolution de la morphologie des territoires des ordres et de leurs habitants permet de s’interroger sur la manière dont les frères ont pris possession de terres, la longévité de leurs domaines, les conditions de leur extension territoriale. La question des frontières est fondamentale dans ce cadre. Il convient de relever que le caractère symbolique des terres des ordres, lié à l’essence même de ces institutions, est d’autant plus fort que l’on se rapproche de l’Orient et de Jérusalem.
Le second questionnement porte sur l’organisation sociale locale des territoires. La question de la polarisation peut être élargie, pour aboutir à une réflexion sur la relation des commanderies occidentales et orientales avec leur chef-lieu de province mais également avec leur quartier général. Cette thématique amène à s’intéresser à l’insertion des ordres militaires dans des sociétés et des structures administratives et ecclésiastiques souvent déjà présentes lors de leur installation. Il est important de considérer les interactions de tous types, parmi lesquelles les conflits, entre les ordres militaires et les diverses entités sociales vivant et/ou revendiquant des droits sur un même territoire.
La dimension économique de la territorialité des ordres est fortement liée à la possession et à l’exploitation de leurs domaines occidentaux et orientaux, à la manière dont ils en assurent la gestion, aux revenus qu’ils en tirent, et à l’usage de ces ressources en fonction de la localisation des commanderies concernées. Il est également nécessaire de prendre en considération les pratiques juridiques sur les terres confiées aux ordres. La spécificité des commanderies orientales dans ce domaine est notable avec l’application du principe de la personnalité des lois.
Cette réflexion doit intégrer la chronologie et, en particulier, les étapes qui ont marqué la perception de la territorialité au Moyen Âge, avec des périodes de mutation en Occident, entre le XIe et le XIIIe siècle, impulsées par la réforme grégorienne. Il faut tenir compte des bouleversements provoqués par les croisades, avec la création d’États latins en Orient, États dont les besoins criants ont suscité l’apparition de ces ordres au caractère spécifique au XIIe siècle.
Ce champ de travail va donner lieu à la publication d’un ouvrage collectif intitulé Ordres militaires et territorialité : entre Orient et Occident réunissant des contributions de chercheurs français et étrangers sous la direction de Marie-Anna Chevalier.
C. Familles et territoires
(Boris James, Isabelle Ortega)
Avec ce champ intitulé Familles et territoires, les travaux de l’équipe de recherche s’inscrivent dans le cadre du renouvellement des études sur les questions de territorialité, une notion que les historiens tentent d’affiner à travers différentes approches, au rythme des évolutions de la recherche scientifique. En s’ouvrant largement aux disciplines « sœurs » de l’histoire, cette thématique pourra favoriser des collaborations et des travaux novateurs au sein de l'équipe, aussi bien pour la partie occidentale que pour la partie orientale. En effet, le regard porté par le CEMM sur l’Orient médiéval et notamment les territoires d’Islam de l’Égypte à l’Iran, pose la question de la spécificité des formes du politique et du social dans ces régions. Ainsi, les concepts de « tribu » et de « chefferie » sont-ils interrogés à l’aune de cas précis évoqués dans les sources arabes et persanes de la période allant du XIIe au XVe siècle, particulièrement au sein de l’espace kurde. La tribu (qabîla ou ‘ashîra en arabe, khayl en persan) comporte une très forte diversité de modes d’organisation sociale et politique qu’il convient d’étudier. Les origines mythiques et les représentations propres à la tribu (relation à un territoire, lignage), les modes concrets de sa structuration (segmentation, subordination, domination), les formes politiques de la chefferie (pouvoir héréditaire, coercitif, consensuel ou charismatique) de même que les ethos tribaux (hospitalité, générosité, réciprocité guerrière etc.) peuvent faire l’objet d’une analyse approfondie. D’autres angles d’attaque permettent d’inscrire la tribu dans le cadre plus large de l'ordre politique régional : Quelles sont les relations des tribus à l’État ? Quels éléments différencient la tribu de la maison princière ? Dans quelle mesure les tribus produisent-elles, par-delà les conflits, un ordre interne structurant le territoire ?
Ces questions orientales résonnent avec les formes de parenté, non uniformes, que l’on retrouve en Occident, et qui peuvent être abordées via la territorialité, et cela quel que soit le groupe social étudié. Qu’importe le système de parenté et la zone géographique concernée, l’armature familiale est très importante pour imposer le pouvoir dans le temps, mais également pour structurer le territoire. La parenté accordant une place primordiale aux réseaux de relations, au patrimoine et au pouvoir, on ne peut faire l’économie d’une réflexion plus poussée concernant les deux termes symbolisant le titre de cet axe de réflexion, Familles et territoires, ainsi que les étroits liens qui les lient. De tels travaux peuvent croiser et rejoindre certaines problématiques développées dans l’axe 1 sur le patrimoine monastique, par exemple en ce qui concerne les donations ou encore les réseaux de relations.